Blog Cyberjustice – Faut-il consacrer un délit de stalking en droit pénal français ?
À l’ère des réseaux sociaux et de la connectivité permanente, les témoignages de personnes confrontées à des comportements intrusifs se multiplient. Les nouvelles technologies facilitent une surveillance constante, souvent banalisée sous couvert d’interactions numériques : une simple photo partagée sur Instagram, une localisation activée lors d’un live, et c’est toute une part de l’intimité qui devient accessible, voire exploitable. De plus en plus d’influenceurs et d’internautes dénoncent des situations oppressantes, fréquemment vécues dans l’indifférence, car jugées juridiquement insuffisantes pour relever du champ de la répression pénale.
Ce phénomène, communément désigné sous le terme de stalking, renvoie à une traque obsessionnelle d’un individu, dont les faits et gestes sont minutieusement observés, enregistrés, voire anticipés, souvent à son insu et sans son consentement. Le stalking peut prendre des formes variées : l’envoi répété de messages, la création de comptes dédiés au suivi ou au détournement des publications de la victime, avec des commentaires plus ou moins bienveillants, jusqu’à la tentative d’une rencontre physique basée sur l’exploitation d’informations glanées en ligne. Ces comportements, longtemps perçus comme marginaux, tendent aujourd’hui à se banaliser dans l’univers numérique.
En droit pénal français, les notions de stalking ou de stalkeur (que l’on pourrait traduire par « suiveur ») ne sont pas expressément consacrées par les textes. Les comportements qu’elles recouvrent sont généralement appréhendés à travers la qualification de harcèlement, qui suppose la répétition d’agissements susceptibles de porter atteinte à la dignité ou à la santé de la victime. Toutefois, cette qualification soulève des interrogations : permet-elle réellement de saisir la spécificité des formes insidieuses de surveillance, de contrôle et d’atteinte à l’intimité que recouvre le stalking, notamment dans ses manifestations numériques ?
Les limites du délit de harcèlement face au phénomène du stalking
Introduit par la loi du 4 août 2014 pour l’égalité entre les femmes et les hommes, le harcèlement moral se définit à l’article 222-33-2-2 du Code pénal comme des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de vie de la victime, se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale. Sa constitution suppose que ces agissements soient le fait d’une même personne à travers divers actes, ou de plusieurs auteurs dont les comportements, bien que indépendants et non concertés, convergent vers un effet cumulatif sur la victime. Le harcèlement moral permet ainsi de sanctionner une série de comportements qui, pris isolément, ne constituent pas nécessairement des infractions pénales, tels que des appels intempestifs, des messages anonymes ou des propos dégradants.
Assurément, cette infraction présente un champ d’application particulièrement large, offrant une protection précieuse contre divers agissements délétères. Toutefois, elle peut se révéler insuffisante pour appréhender certaines formes de traques obsessionnelles, notamment celles facilitées par les outils de communication numérique. En effet, le stalking, par sa nature insidieuse et souvent silencieuse, échappe parfois aux critères stricts de répétition et d’altération de la santé exigés par l’infraction de harcèlement moral.
Le cas des streameurs et streameuses suivis par des individus qui, après avoir analysé leur localisation via des diffusions en direct, traquent leurs déplacements dans l’espace physique, illustre parfaitement les limites matérielles de l’infraction actuelle. Observer de manière systématique le comportement d’une personne, analyser ses habitudes quotidiennes ou ses trajets, puis les reproduire de façon plus ou moins aléatoire, ne constitue pas, en soi, une infraction pénale. Aussi troublante que soit cette intrusion dans la vie privée, la collecte d’informations accessibles publiquement et l’observation de l’autre restent, en principe, libres et licites en droit français.
Par ailleurs, le stalking se heurte aux exigences de l’élément intentionnel requis pour engager la responsabilité pénale : en l’absence de démonstration d’une volonté de porter atteinte à l’intégrité physique ou psychique de la victime, la qualification de harcèlement moral peut difficilement être retenue. Or, le cas spécifique du stalking rend souvent délicate l’appréciation de l’intention réelle de l’auteur : s’agit-il d’une simple admiration maladroite, comparable à l’attitude d’une groupie, ou d’une véritable volonté de nuire pouvant justifier une incrimination pénale ?
Ainsi, le cadre juridique actuel montre ses limites face à des comportements à la fois perturbants, intrusifs et socialement déstabilisants, mais pouvant être juridiquement insaisissables menant à questionner l’opportunité de l’introduction de cette notion en droit pénal français.
Vers la consécration d’une notion autonome en droit pénal français ?
À ce jour, la question d’une consécration spécifique du stalking en droit pénal français demeure peu discutée. Le phénomène lui-même reste encore méconnu d’une large partie du public, en particulier de ceux peu familiers avec le vocabulaire issu de l’univers numérique. Pourtant, l’introduction d’une notion autonome pourrait apparaître opportune, à une époque où ce type de comportements touche un nombre croissant de victimes, souvent démunies face aux insuffisances des réponses juridiques existantes.
À défaut d’ériger le stalking en infraction distincte du harcèlement moral, il semblerait à tout le moins nécessaire de mieux l’identifier et de favoriser son appréhension dans le débat juridique. Reconnaître et nommer ce phénomène permettrait déjà de sensibiliser le public et les acteurs judiciaires, en soulignant que ces comportements anti-sociaux, bien que parfois à la frontière de la légalité, peuvent aussi, dans certaines circonstances, être constitutifs d’infractions pénales.
En définitive, la reconnaissance du stalking comme phénomène autonome apparaît indispensable pour assurer une protection adaptée aux nouvelles formes d’atteinte à l’intimité. À l’ère numérique, où les comportements intrusifs se multiplient, le droit pénal, et plus particulièrement la prise en charge des victimes, doivent évoluer afin de mieux appréhender ces réalités et de garantir à ces dernières une protection effective.
FOOS Justine
Master 2 CYBERJUSTICE (Promotion 2024/2025)
Sources :
France Inter. (2024, 12 mars). Cyber-harcèlement des streameuses : comment les joueuses contre-attaquent. https://www.radiofrance.fr/franceinter/cyber-harcelement-des-streameuses-comment-les-joueuses-contre-attaquent-2391568
Stream’Her. (s. d.). Qui sommes-nous ? https://stream-her.com/qui-sommes-nous/
Article 222-33-2-2 Code pénal
Auteur :
Aller à la source