Blog Cyberjustice – Les DOGE kids (2) : illustration de la dépossession des institutions étasuniennes aux mains du pouvoir technophile
Créé par décret présidentiel de Donald Trump le 20 janvier 2025 et piloté par Elon Musk, le Department of Government Efficiency (Département de l’efficacité gouvernementale – DOGE) avait pour mission de moderniser l’administration et de rassembler 2 000 milliards de dollars d’économies. Cet objectif, d’emblée jugé irréaliste, a rapidement été ramené à 150 milliards – un chiffre déjà contesté par plusieurs enquêtes journalistiques, dont celle du New York Times. Mais au-delà des chiffres, ce sont les méthodes du DOGE, et en particulier celles de ses jeunes recrues – les DOGE kids – qui soulèvent des enjeux et interrogations.
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Afin de découvrir qui sont les DOGE kids ainsi qu’un constat de leurs premiers mois d’activité, je vous renvoie à l’article de Juliette Pons qui traite des enjeux de protection des données à caractère personnel et de cybersécurité soulevés suite à leurs agissements.
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En quelques semaines, les DOGE kids ont installé des serveurs clandestins, désactivé des outils publics, fouillé les dépenses de santé, et même contrôlé la signalétique genrée des toilettes. Bien que présenté comme une initiative visant à réduire les dépenses gouvernementales, des analyses suggèrent que le DOGE poursuit des objectifs idéologiques plus profonds, tels que la création de structures étatiques autonomes et la réduction de la surveillance réglementaire.
La justice n’a pas tardé à réagir : en mars, la Cour de district du Maryland a ordonné au DOGE d’effacer toutes les données collectées illégalement. Le Trésor a bloqué leurs accès, et un audit du Government Accountability Office est en cours.
Sous couvert de modernisation, le DOGE a agi dans une opacité presque totale, contournant les garde-fous juridiques et éthiques les plus élémentaires. Il ne s’agit plus d’une réforme de l’État : il s’agit de sa véritable prise de contrôle par une poignée de jeunes hommes, propulsés non par le suffrage ni le mérite institutionnel, mais par leur proximité avec un milliardaire.
Derrière l’image séduisante des génies du code et des nuits blanches passées à « sauver » l’administration américaine, se cache une réalité bien plus inquiétante : celle d’un État instrumentalisé, hacké depuis l’intérieur, sans mandat clair, sans transparence, et sans contre-pouvoirs solides. L’accès aux données à caractère personnel de millions de citoyens, les licenciements massifs au sein des équipes de Musk, et les injonctions autoritaires à des agences publiques ne relèvent pas d’une expérimentation technocratique : il est ici question d’une dérive autoritaire masquée sous les atours d’une start-up nation.
Ce que révèle l’épisode du DOGE, c’est le risque immense que représente l’abandon progressif des institutions aux mains d’un pouvoir charismatique et technophile. Lorsque l’efficacité devient une fin en soi, que la loi se plie à la volonté des plus puissants, et que des jeunes sans expérience se retrouvent à manipuler les rouages les plus sensibles de l’État, ce n’est plus de progrès qu’il faut parler, mais de régression : aucune promesse d’innovation ne saurait légitimer la dépossession silencieuse des institutions par la volonté d’un seul homme.
Ghanbary Nina, COMED
Master 2 Cyberjustice 2024/2025
https://www.theguardian.com/commentisfree/2025/feb/08/elon-musk-doge
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