Pourquoi faut-il un cadre « universel » aux droits de l'internaute et du créateur ?
Après PRISM, puis les ambigüités d’une loi de programmation militaire très extensive sur la surveillance de données personnelles des citoyens, le Forum d’Avignon souhaite un débat public sur « les principes des droits de l’internaute et du créateur à l’ère numérique ».
Provocation ou conviction? C’est le 10 décembre, décrétée Journée mondiale des Droits de l’Homme que le Sénat a adopté la loi de programmation militaire et son article 13 destiné à renforcer l’accès des services du renseignement intérieur de police et de gendarmerie aux données téléphoniques et informatiques, justifié par l’inscription de la démarche dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée. Si, à l’issue du vote, dans un communiqué argumenté, le Sénat estime que ‘Le nouveau dispositif représente donc un progrès indiscutable du point de vue des libertés publiques’, il n’empêche que les risques sont réels : la CNIL par exemple, non consultée, attend les règlements d’applications pour donner son avis…. De son coté, le Digital Champion, Gilles Babinet, n’hésite pas à clamer dans le journal Les Echos qu’avec cette loi, « nous sommes à deux doigts de la dictature numérique ».
Le monde culturel se mobilise. Le collectif d’écrivain Writers Against Mass Surveillance, le 11 décembre, quelques jours après notre appel à la protection de notre identité numérique. Pour l’intimité numérique ,Le Monde en appelle à son tour, au nom de la démocratie, « aux Nations Unies pour reconnaître l’importance centrale de la protection des droits civils de l’ère numérique et de créer une Charte internationale des droits numériques ».
Contre la surveillance de masse. Le collectif de plus de 500 signatures s’élève contre l’étendue de l’Etat sur la surveillance de masse, qui « recueille et stocke vos données et peut donc prédire vos habitudes d’achat et vos comportements », et proteste contre « le droit fondamental de l’intégrité inviolable est rendu caduc par l’usage abusif des avancées technologiques par les Etats et par des entreprises dans leurs activités de surveillance », dénonçant « le traitement de chaque citoyen comme un suspect potentiel. Elle remet en question un de nos triomphes historiques: celui de la présomption d’innocence. La surveillance rend l’individu transparent, tandis que l’Etat et les entreprises fonctionnent dans le secret ». Concluant que « la surveillance est un vol ».
Big génome avant Big Brother. Il ne s’agit pas seulement de stigmatiser la surveillance, nous en appelons aussi au respect de l’intimité et de la création. Après le respect des droits de l’homme génétique qui a fait l’objet d’une Déclaration universelle (Unesco du 11 novembre 1997), celui de ceux de l’homme numérique. A l’issue des 6ème rencontres internationales (novembre 2013), le Forum d’Avignon proposait aux pouvoirs publics son manifeste sur les principes d’une déclaration universelle des droits de l’internaute et du créateur à l’heure du numérique du Forum d’Avignon (publié le 23 novembre 2013.
Ouvrir un débat public. Le Forum d’Avignon souhaite que le débat public intègre sept principes pour poursuivre la réflexion et préparer les fondements d’une « déclaration universelle des droits de l’internaute et du créateur »:
- Les données culturelles numériques de chaque individu lui appartiennent. Elles ont une valeur patrimoniale et morale propre à chacun.Chaque homme a droit au respect de sa dignité et de sa vie privée quelles que soient les empreintes qu’il laisse sur les réseaux numériques. Le consentement, libre et éclairé de l’intéressé doit être préalable à toute utilisation de ses données culturelles. L’autorisation de leur utilisation ne saurait être tacite ou illimitée dans le temps.Nul ne doit faire l’objet de discrimination ou d’exploitation fondée sur ses caractéristiques culturelles numériques.Chaque homme a droit au respect de sa création. La propriété intellectuelle, clé de voûte de la liberté des auteurs et de l’économie de la culture, doit être protégée dans tous les pays sur tous les supports.Le consentement, libre et éclairé du créateur doit être préalable à toute utilisation. L’autorisation donnée ne saurait être tacite ou illimitée dans le temps.La création ne saurait être manipulée sous quelle que forme que ce soit sans l’accord express et préalable de l’auteur.La recherche, l’analyse et l’utilisation des données personnelles culturelles numériques doivent être régulées et encadrées dans le respect de la vie privée et de la liberté individuelle de chacun.
L’Europe -depuis la Grèce antique- a su toujours faire prévaloir les valeurs sur le commerce. »Après avoir perdu la suprématie économique, l’Europe veut-elle perdre celle de la culture? s’interrogeait Nicolas Seydoux, Président du Forum d’Avignon dans une tribune « Pas de culture sans politique » parue dans le Figaro du 21 novembre 2013. Il n’est pas trop tard. La base est solide. Mais au lieu de regarder hébétée les nouvelles technologies qui ne sont que des moyens, l’Europe doit s’intéresser aux contenus, à leur protection comme à celle de la propriété des données personnelles ».
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