Telegram menace de quitter la France si une loi est votée contre le chiffrement de bout en bout
L’avenir de Telegram en France est incertain. Lundi dernier, son fondateur Pavel Durov a annoncé que l’application de messagerie pourrait se retirer du marché français si le gouvernement devait passer une loi pour forcer les éditeurs à créer un système de contournement du chiffrement. « Telegram préférerait quitter un marché plutôt que de miner le cryptage avec des backdoors et de violer les droits de l’homme fondamentaux », a-t-il écrit sur X, ajoutant que « le chiffrement n’est pas conçu pour protéger les criminels ».
Une prise de position forte, mais qui ne doit pas faire oublier que Telegram ne chiffre pas les conversations de ses utilisateurs de bout en bout par défaut (contrairement à Signal et WhatsApp), ne permet pas un chiffrement de tous les modes de communication, et utilise un protocole maison dont la robustesse est fréquemment décriée par les experts.
Le gouvernement persiste
La déclaration de Pavel Durov fait suite à des propos tenus le 18 avril dernier par le préfet de police de Paris, Laurent Nuñez, qui avait qualifié Telegram de « mode de communication privilégié des narcotrafiquants ». Selon lui, un groupe nommé DDPF (Défense des Droits des Prisonniers Français) a utilisé récemment la messagerie pour coordonner une série d’attaques contre des centres pénitenciers en France.
« J’espère qu’à travers cette affaire, on va progresser et mieux comprendre pourquoi les services de renseignements et les services de police judiciaire veulent pouvoir accéder […] aux communications cryptées », avait plaidé le haut fonctionnaire. Le ministre de l’intérieur Bruno Retailleau réclame aussi la création de backdoors dans les messageries sécurisées pour permettre aux services de police d’intercepter les discussions des criminels, notamment les trafiquants de drogue et de démanteler les réseaux.
Le problème est qu’il est fondamentalement impossible de ne fournir un accès qu’à certaines entités et pour n’accéder qu’à certaines données. Tout accès de ce type serait donc au final une grave atteinte à la vie privée de tous les utilisateurs.
Un amendement avait été introduit dans le cadre d’une proposition de loi sur la lutte contre le narcotrafic, mais il a été rejeté le mois dernier à une large majorité par l’Assemblée nationale, estimant qu’il porte atteinte aux principes de confidentialité. Dans son message du X, le patron de Telegram a salué le vote, estimant que « les députés ont eu raison de rejeter une loi qui aurait fait de la France le premier pays au monde à priver ses citoyens de leur droit à la vie privée ».
Une voie d’accès aux hackers
Pavel Durov a affirmé à juste titre qu’il est techniquement impossible de garantir un accès uniquement à la police. « Une fois implémentée, une porte dérobée peut être exploitée par d’autres acteurs comme des agents étrangers ou des hackers. En conséquence, les messages privés de tous les citoyens respectueux de la loi risquent d’être compromis ».
Actuellement, Telegram accepte de fournir aux autorités les adresses IP et numéros de téléphone de ses utilisateurs, mais pas le contenu des messages. L’entreprise y a pourtant accès dans certains cas, puisqu’ils ne sont pas chiffrés de bout en bout.
Pavel Durov souligne également la futilité d’une telle approche devant la pléthore d’applications disponibles. « Même si les applications chiffrées grand public avaient été affaiblies par une backdoor, les criminels auraient pu communiquer en toute sécurité via des dizaines d’applications plus petites, et devenir encore plus difficiles à localiser grâce aux VPN », estime-t-il.
En plus de la France, l’Union européenne cherche aussi à contourner le chiffrement dans le cadre d’un plan d’action sur la sécurité intérieure présenté le 1er avril dernier. Bruxelles souhaite identifier et d’évaluer les solutions technologiques permettant aux autorités d’accéder légalement aux données en 2026.
Auteur :
Aller à la source