Un « appel de Paris » lancé pour éviter une cyberguerre mondiale

Un « appel de Paris » lancé pour éviter une cyberguerre mondiale

Murad Sezer / Reuters

POLITIQUE – Après avoir commémoré la paix retrouvée de 1918, la France veut pacifier les relations internationales sur le cyberspace. Espionnage et sabotage informatique, cyberattaques criminelles, tentatives de déstabilisation des processus électoraux, remise en cause de la neutralité du web… Les défis concernant l’usage et l’avenir d’internet ont explosé ces dernières années, laissant craindre l’éclatement du réseau mondial.

Pour y répondre, la France a décidé d’organiser et d’accueillir une série de réunions internationales sur l’avenir d’internet dans l’espoir de relancer les négociations en vue d’aboutir à un ordre impliquant tous les acteurs. Les discussions sur l’avenir du réseau mondial ont débuté ce dimanche lors du Forum de la paix, organisé par la présidence de la République dans le prolongement des commémorations du 11 novembre. Mais elles prendront véritablement leur essor ce lundi 12 novembre, avec le début à l’Unesco du Forum international sur la gouvernance de l’internet.

Paris a décidé de donner un lustre particulier à cette convention annuelle, avec un discours inaugural d’Emmanuel Macron, en présence du secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres. « Internet est une révolution formidable », mais « il est menacé dans sa structure par les cyberattaques », « dans ses contenus par les propos haineux » qui y circulent, et par la tendance de certains États à « fractionner le réseau pour en contrôler le contenu », explique-t-on à l’Élysée.

Fixer des règles dans le cyberespace

L’un des temps forts de cette convention sera la présentation ce lundi par la France d’un « appel de Paris » sur la cybersécurité, signé par des États, de grandes entreprises internationales comme Microsoft et des ONG. Le manifeste reprend à son compte des principes comme celui de la non-utilisation des cyber-armes contre les civils, la non-ingérence dans les affaires électorales, ou encore la condamnation des contre-offensives informatiques par les entreprises victimes de cyber-attaques.

A terme, la France espère rallier 70 à 80 acteurs à ce texte, dont une moitié d’Etats, selon les informations du Monde.

Les États ont déjà tenté de se mettre d’accord sur des normes internationales de comportement dans le cyberespace dans un groupe de travail spécialisé de l’ONU. Mais les logiques de blocs opposant les États-Unis et leurs alliés à la Chine et à la Russie ont fini par faire achopper ces discussions en 2017, après des débuts prometteurs en 2013.

« Les discussions se sont arrêtées dès qu’on a commencé à aborder des questions qui n’étaient plus purement techniques », expliquait récemment un expert.

La France espère que cet « appel de Paris » va permettre de relancer les discussions internationales pour éviter l’éclatement du réseau mondial. Aussi elle relance le Forum pour la gouvernance de l’internet, un lieu de discussions internationales mêlant acteurs publics et privés. Il avait été lancé en 2006 mais était tombé en désuétude depuis. Les discussions sur l’avenir d’internet « ne peuvent pas associer que des gouvernements », a expliqué à l’AFP Constance Bommelaer de Leusse, de l’Internet society, l’ONG internationale qui est une cheville ouvrière du forum.

« Dans l’internet, toutes les couches sont détenues par des acteurs privés », souligne-t-elle. Beaucoup des premiers bâtisseurs d’internet partagent aujourd’hui une grande désillusion sur ce qu’est devenu le réseau mondial. « Beaucoup de choses ont mal tourné… Nous avons des ‘fake news’, des problèmes de respect de la vie privée, des personnes qui sont manipulées », a déclaré Tim Berners-Lee, le physicien britannique qui est l’un des pères fondateurs de l’internet.

De son côté, Eugene Kaspersky, le fondateur de la société de cybersécurité éponyme, ne cesse d’appeler à la coopération internationale contre la cyberdélinquance, et dénonce la « balkanisation » de l’internet. Entreprises et particuliers sont « des victimes collatérales » d’actions de guerre de certains Etats, dénonçait en octobre dernier Erwan Keraudy, le patron de la société CybelAngel, une sorte de plombier de l’internet qui aide les entreprises à détecter les fuites de fichiers dans leurs réseaux informatiques. « Il va finir par y avoir des morts », de vrais morts et non des morts virtuels, avertit-il.

Les Pays-Bas en « guerre informatique » contre la Russie

Des avertissements qui n’ont pour l’heure pas enrayé la course aux armements numériques des Etats. Leurs cybersoldats cherchent des vulnérabilités dans les grands outils informatique mondiaux pour construire des cyber-armes aux effets potentiellement destructeurs.

Les activités de la Russie de Vladimir Poutine dans le cyberespace sont régulièrement pointées du doigt. En 2017, l’attaque informatique NotPetya, qui visait les entreprises en Ukraine et est attribuée par beaucoup à la Russie, a touché des entreprises partout dans le monde, bloquant leurs systèmes informatiques et leurs outils de production, et provoquant des pertes estimées à plusieurs milliards de dollars.

En octobre dernier, la ministre néerlandaise de la Défense Ank Bijleveld avait estimé que les Pays-Bas se trouvent en « guerre informatique » avec la Russie après avoir déjoué une cyberattaque russe. Le Renseignement néerlandais assurait avoir expulsé en avril quatre agents russes qui préparaient une cyberattaque visant l’Organisation pour l’Interdiction des Armes chimiques (OIAC), basée à La Haye. Les agents russes avaient positionné un véhicule truffé d’équipements électroniques sur le parking d’un hôtel proche du siège de l’OIAC dans le but de pirater son système informatique, selon les autorités néerlandaises.

NotPetya, comme Wannacry, l’autre grande attaque informatique de 2017 attribuée à la Corée du Nord, utilisait vraisemblablement du code volé à la NSA, la toute puissante agence de renseignement électronique des États-Unis.

« La problématique de la prolifération des cyber-armes c’est une problématique du même niveau que la prolifération des armes nucléaires et bactériologiques » qui sont « régulées » internationalement, a prévenu Bernard Ourghanlian, le directeur technique et sécurité de Microsoft France.

Mais internet, malgré les menaces qui planent sur lui, reste encore un facteur d’espoir et d’invention. L’Hôtel de ville de Paris accueille ce lundi une conférence internationale sur la manière dont le numérique peut améliorer les rapports entre citoyens et État, qu’il s’agisse de numérisation des administrations ou d’évolution du débat démocratique. Cette thématique sera également au cœur d’un déjeuner lundi à l’Élysée autour d’Emmanuel Macron réunissant de nombreux acteurs de la « tech », sur un modèle déjà éprouvé à plusieurs reprises l’an dernier par le président français.

À voir également sur Le HuffPost:

LIRE AUSSI

    Pourquoi j’ai créé une réserve de cyberdéfense au sein de l’armée française Cyberdéfense: pourquoi la France et les autres Etats investissent des millions dans la sécurité informatique

Auteur :

Aller à la source