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Blog Cyberjustice – L’assignation de Tiktok en justice 

Lancée en 2016 par l’entreprise chinoise ByteDance, Tiktok s’est rapidement fait une place parmi les applications les plus populaires au monde, étant particulièrement prisée par les jeunes générations. Connue pour des vidéos de danse, de musique, des tutoriels et astuces, l’application compte, à ce jour, plus d’un milliard d’utilisateurs actifs à travers le monde. Cependant, derrière ce succès fulgurant se cachent de nombreuses préoccupations. En effet, Tiktok fait l’objet de critiques récurrentes concernant son outil de modération algorithmique opaque, la collecte massive de données personnelles et la protection insuffisante des mineurs. À ce titre, le réseau social chinois est accusé d’exposer les mineurs à de nombreuses vidéos faisant la promotion du suicide. Plusieurs enquêtes ont été ouvertes, notamment par des institutions, et plus récemment, des actions en justice ont été intentées contre l’application. 

Le contexte de l’assignation en justice 

En novembre dernier, sept familles françaises ont assigné Tiktok devant le tribunal judiciaire de Créteil, reprochant au réseau, à son algorithme et à sa politique de modération d’avoir contribué à des comportements autodestructeurs chez leurs adolescents, allant jusqu’au suicide de certains. Plus récemment, en mars, quatre nouvelles familles ont également assigné le réseau social en justice pour des raisons similaires. Ces nouvelles assignations concernent deux jeunes filles ayant mis fin à leurs jours ainsi que d’autres adolescents en état de dépression. L’outil de modération utilisé par l’application ainsi que la politique de modération sont particulièrement pointés du doigt, l’algorithme exposant les mineurs à des contenus problématiques. 

L’algorithme de modération mis en cause 

Conçu pour capter l’attention des utilisateurs et maximiser leur temps passé sur la plateforme, cet algorithme repose sur une analyse poussée des comportements en ligne. Chaque interaction, temps de visionnage, likes, commentaires ou partages, alimente un système de recommandation personnalisé, permettant de rendre le fil d’actualité de l’application particulièrement addictif. Ce fonctionnement, en apparence pensé dans l’intérêt des utilisateurs, soulève plusieurs inquiétudes. 

Tout d’abord, cela crée un risque d’enfermement algorithmique et d’addiction : l’algorithme tend à renforcer les préférences des utilisateurs en leur proposant du contenu similaire. Ce phénomène connu sous le nom de “bulle de filtre” peut favoriser la radicalisation des idées en limitant l’accès à des contenus diversifiés. De plus, l’influence grandissante de l’application sur les jeunes publics cause également des risques d’addiction. L’algorithme est accusé de mettre en avant des contenus ayant des effets néfastes sur leur bien être mental, et l’émergence de tendances virales parfois dangereuses devient également une source d’inquiétude auprès des parents et des autorités. 

Enfin, l’algorithme est souvent critiqué pour son manque de transparence, ce qui alimente les soupçons de manipulation algorithmique et de mise en avant arbitraire de contenus. Dans le cas d’un adolescent en détresse consultant du contenu lié à son mal être psychologique, l’algorithme va suggérer des publications similaires, causant une boucle infinie et un isolement profond. 

Le rapport d’enquête du Sénat sur l’application chinoise de 2023

L’accusation du réseau social par plusieurs familles fait écho aux alertes lancées en 2023 par la commission d’enquête du Sénat. En effet, le lancement de cette commission sur l’exploitation des données et la stratégie d’influence avait d’abord souligné les liens étroits entre l’application et la Chine, évoquant des risques potentiels pour la sécurité nationale ainsi que des risques d’ingérence. La commission d’enquête s’inquiétait notamment de la possibilité que les données des utilisateurs soient accessibles aux autorités chinoises. De plus, elle a mis en avant l’impact de Tiktok sur la santé mentale des jeunes, le public prédominant sur l’application. Sur les 22 millions d’utilisateurs en France, plus de 63% sont âgés de 12 ans, bien que l’application soit officiellement interdite au moins de 13 ans. Le rapport pointe donc le risque d’enfermement des utilisateurs les plus fragiles. Devant les sénateurs, les dirigeants de l’application en France ont nié ce phénomène de bulle de filtre, conservant cependant un réel flou et une opacité sur la politique de modération appliquée. Pour conclure son rapport, le Sénat a proposé de considérer Tiktok comme “éditeur”, un statut qui reviendrait à rendre la société juridiquement responsable de l’ensemble des contenus postés sur la plateforme. 

Quelle responsabilité pour Tiktok ? 

Ces nouvelles actions judiciaires de particuliers contre l’application mettent en lumière les préoccupations croissantes concernant l’impact des réseaux sociaux sur la santé mentale des jeunes utilisateurs, notamment du point de vue de la responsabilité des plateformes dans la diffusion de contenus potentiellement dangereux ou problématiques. Les préoccupations quant aux effets psychologiques de Tiktok sur les mineurs grandissent au vu des évènements dramatiques qui se multiplient. En engageant cette procédure, les familles espèrent la reconnaissance juridique de la responsabilité de l’application dans la circulation des contenus, qui peuvent influencer des comportements et pousser des enfants, adolescents à commettre le pire. 

 

Clara CASTILLON

Master 2 Cyberjustice – Promotion 2024/2025

 

 

Sources : 

 

Sept familles françaises annoncent assigner TikTok en justice après des suicides d’adolescentes

TikTok et les dangers de l’algorithme : un réseau social assigné en justice – HEConomist

Dossier TikTok – Public Sénat

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artia13

Depuis 1998, je poursuis une introspection constante qui m’a conduit à analyser les mécanismes de l’information, de la manipulation et du pouvoir symbolique. Mon engagement est clair : défendre la vérité, outiller les citoyens, et sécuriser les espaces numériques. Spécialiste en analyse des médias, en enquêtes sensibles et en cybersécurité, je mets mes compétences au service de projets éducatifs et sociaux, via l’association Artia13. On me décrit comme quelqu’un de méthodique, engagé, intuitif et lucide. Je crois profondément qu’une société informée est une société plus libre.

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