L’amour implique par essence une vulnérabilité particulière de l’Homme. L’escroquerie sentimentale n’est pas une nouveauté. Toutefois, avec l’expansion des plateformes numériques, les personnes mal intentionnées y trouvent un terrain privilégié.
Qu’est ce que l’escroquerie sentimentale ?
L’escroquerie sentimentale consiste pour le malfaiteur, souvent à l’aide d’un faux profil, à feindre une grande affection pour sa victime afin de gagner sa confiance et qu’elle développe de forts sentiments. Il va alors s’en servir pour lui soutirer des sommes monétaires, des informations, ou autres biens précieux. Il recourt pour cela à des techniques d’ingénierie sociale : en ciblant avec soin la victime, en identifiant ses failles émotionnelles, il en exploite les ressorts affectifs, souvent en les combinant à une situation d’apparente urgence fictive destinée à provoquer une réaction immédiate et irrationnelle.
Cette arnaque représente chaque année la perte de centaines de millions d’euros pour l’ensemble des victimes et continue de croître ; sans oublier un impact psychologique profond.
La qualification pénale :
Cette pratique, même si démultipliée par le numérique, tombe sous le coup du droit pénal traditionnel : elle peut être qualifiée d’escroquerie au sens de l’article 313-1 du Code pénal. L’élément matériel est ici caractérisé par l’utilisation d’un faux nom ou d’une fausse qualité (à travers le faux profil) ou par l’emploi de manœuvres frauduleuses (mise en scène complète avec messages mensongers, création d’une relation, et parfois, production de fausses pièces pour l’étayer). La victime est amenée à consentir à la remise d’un bien, d’une somme ou d’un service, persuadée d’agir par amour. En ce sens, le lien de causalité entre ces actes de tromperie et la remise doit être établi. L’élément intentionnel de l’escroc doit enfin être démontré : la volonté de tromper pour obtenir un avantage.
L’escroquerie est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende. Alors que l’auteur exploite directement la vulnérabilité de sa cible, il est à noter que si celle-ci est apparente ou connue de l’escroc, elle peut constituer une circonstance aggravante de la peine. L’article 313-2 du Code pénal vise expressément la “particulière vulnérabilité”, mais aussi l’état de sujétion psychologique de la victime depuis la loi du 10 mai 2024, renforçant la protection des victimes sous emprise dans ce type de fraudes. La peine est dans ce cas portée à sept ans d’emprisonnement et 750 000 euros d’amende.
De plus, lorsque l’escroc adopte l’identité réelle d’un tiers dans son procédé infractionnel, l’usurpation d’identité peut être retenue en cumul, passible d’un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende (article 226-4-1 du Code pénal).
L’arnaque sentimentale peut être difficile à appréhender : elle se déploie souvent au-delà des frontières nationales et via des réseaux organisés.
Malgré ce caractère transfrontalier, les juridictions françaises demeurent compétentes pour juger des faits réalisés par des services numériques à l’encontre d’une personne résidant en France (article 113-2-1 du Code pénal).
Des outils numériques au service de la sécurité des plateformes :
- L’authentification des profils utilisateurs
Face à l’explosion des escroqueries sentimentales, les plateformes mettent en place des outils visant à les prévenir. La vérification d’identité constitue une première réponse. Elle vise à diminuer les risques de fausses identités en ligne, fictives ou existantes, rendant la tâche plus complexe aux fraudeurs. Cette authentification peut se faire de différentes façons.
– Bumble demande à l’utilisateur de reproduire une pose photo aléatoire et spécifique en direct, dont le résultat est contrôlé manuellement.
– Match Group a opté pour une certification par biométrie à partir d’une vidéo de l’utilisateur qui est ensuite comparée aux données faciales des photos du profil par une intelligence artificielle.
– La vérification est encore possible par pièce d’identité officielle, sur Tinder par exemple, et se développe également sur les réseaux sociaux plus généraux, tels que Linkedin ou Instagram.
Toutefois, ces fonctionnalités d’authentification restent facultatives dans la majeure partie des cas ; un choix probablement motivé par la crainte des plateformes de perdre des utilisateurs. Aussi, elles permettent uniquement d’attester que les photos du profil correspondent bien à la personne derrière l’écran, cela n’éradique donc pas tous les risques.
- La modération et détection de comportements suspects
Les outils de modération des plateformes épaulent cette chasse aux escroqueries. Un simple algorithme peut permettre de bloquer l’emploi de mots spécifiques, identifiés en amont inacceptables. Toutefois, l’escroquerie sentimentale reposant sur de doux mots, cette protection traditionnelle semble inefficace. Alors, certaines plateformes ont développé des systèmes automatisés d’identification de comportements jugés suspects. Ils prennent en compte : les durées de connexion excessives, les spams de likes ou de messages, les “adresses IP appartenant à des pays à niveau d’alerte élevé, les numéros de carte de crédit volés, un langage suspect”, etc.
Grâce à ce type de techniques, les comptes problématiques peuvent être bannis et leurs informations placées sur liste noire, empêchant ainsi la création d’un autre compte.
Ces soutiens techniques sont indispensables, mais ne peuvent être trop stricts au risque de restreindre les droits et libertés des internautes. Le garde-fou le plus efficace reste la sensibilisation et la vigilance de chaque utilisateur, maître de ses interactions.
Laeticia ESCHLIMANN
M2 Cyberjustice – Promotion 2024/2025
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