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Financer le secteur de la défense : « Un euro investi dans le militaire, ce sont des compétences pour demain », rappelle le rapporteur spécial du budget défense

Jeudi 20 mars, à Bercy, les ministres de l’Économie et des Armées ont déclaré être à la recherche d’à peu près « cinq milliards d’euros de fonds propres, de capitaux nouveaux » pour répondre à l’effort nécessaire face à la situation de guerre en Ukraine.

Ils ont annoncé la création « d’un fonds de 450 millions d’euros », dans lequel les Français pourront investir via un nouveau produit d’épargne, destiné à financer le secteur de l’armement et de la sécurité, et ainsi « devenir indirectement actionnaires des entreprises du secteur de la défense ».

franceinfo : Christophe Plassard, vous êtes député Horizon de Charente-Maritime, rapporteur spécial du budget de la défense. Quel est votre regard sur ces annonces, vous qui avez également signé un rapport sur l’économie de guerre ?

Christophe Plassard : Le rapport a déjà deux ans, c’était 2023, et ce qu’on avait souligné, c’était la difficulté pour les entreprises de ce qu’on appelle la BITD (Base industrielle et technologique de défense) à se financer. Il y a deux sujets : les financements en fonds propres et les financements en crédits. Et le fait de réunir les deux écosystèmes, qui parfois ne se parlent pas ou se parlent mal, investisseurs d’un côté, les industriels de l’autre, était de toute façon un signe positif.

Et notamment pour les PME de ce secteur ?

C’est un secteur qui a la particularité d’être incarné par quelques grosses entreprises que l’on connaît, comme Dassault ou Thalès, mais qui ont un chapelet de sous-traitants. Et ce sont plus de 4000 ou 4500 entreprises. Donc c’est surtout des petites entreprises.

Les Français vont pouvoir contribuer à ce financement via un nouveau fonds lancé par Bpifrance. L’objectif est de collecter 450 millions d’euros. Le dépôt minimum est de 500 euros, avec des fonds bloqués pendant au moins cinq ans.

C’est un signal positif. Cinq cents euros, c’est à la fois peu et beaucoup. C’est peu par rapport à ce que sont les tickets d’entrée habituellement dans ce genre d’outil. Et donc c’est très bien d’avoir réussi à proposer un produit qui soit bien en dessous des seuils habituels. Ce qui va permettre, j’espère, une adhésion large. Après, il y a aussi le projet de livret, que nous portons, qui permettrait à ceux qui sont en dessous de ce seuil de 500 euros, et qui peuvent avoir besoin de plus de volatilité, de pouvoir aussi accompagner cet effort.

Évidemment, cela se fera sur la base du volontariat. Est-ce que vous pensez qu’il va y avoir un élan chez les Français, et que cette cible de 450 millions va être atteinte ?

Compte tenu de la conjoncture, actuellement, les sondages se multiplient. On sait de toute façon que l’armée en général a une cote de confiance très élevée chez les Français. Et que la volonté, en tout cas dans ce qui est exprimé aujourd’hui, d’investir est relativement large. Un autre signal, qu’évoquait Sébastien Lecornu ce matin, est qu’au ministère des Armées, aujourd’hui, des gens appellent pour pouvoir intégrer les réserves citoyennes, ou pour savoir ce qu’ils peuvent faire pour aider l’effort qu’on est en train de construire. Donc a priori, en tout cas, il y a une appétence.

Vous aviez signé avec d’autres députés une tribune. Vous appelez toujours à la création d’un livret spécifique « défense et souveraineté » ?

Tout à fait. Ce qui a été présenté ce matin est un peu sur le haut du spectre, au niveau des investisseurs institutionnels. Avec ce livret, on descend avec un seuil d’accès plus bas. Mais on continue de le penser et on a eu le soutien ce matin, c’est assez agréable, du ministre de continuer nos travaux. On est sept parlementaires à avoir signé, de tout bord politique et des deux chambres, Sénat et Assemblée nationale. Et nous cherchons à obtenir quelque chose qui soit populaire, accessible, un peu sous le modèle du livret, toujours de façon volontaire. Il est hors de question de venir capter des fonds sans l’accord des Français. Il s’agit d’aller chercher quelque chose de symbolique, qui va même au-delà de l’investissement et au-delà de l’outil financier, mais qui est aussi une façon d’exprimer son patriotisme.

On a demandé sur franceinfo à des Français ce qu’ils pensent de ce produit créé via Bpifrance. Il y a ceux qui disent : oui mais seulement si c’est transparent, je veux savoir où part cet argent, Vous entendez cet argument ?

Bien sûr, et c’est tout à fait normal. En plus de ça, il faut déjà faire une distinction entre ce qu’est le budget de la nation et l’effort qu’il y aura à faire. On attend des propositions de la part du gouvernement pour éventuellement aller au-delà de la loi de programmation militaire actuelle. Ça, c’est vraiment gérer les dépenses de l’État, ce sont les commandes. Mais après, l’argent dont on parle, c’est de l’épargne. C’est donc investir dans des entreprises, qui sont d’ailleurs la plupart du temps duales. C’est-à-dire qu’elles travaillent pour la défense mais aussi pour le civil. Et on sait très bien que ces industries s’auto-alimentent. Un euro investi dans l’atome militaire, ce sont des compétences pour demain, pour redévelopper des nouvelles centrales. Un euro « militaire » investi dans l’intelligence artificielle aujourd’hui, c’est ce qui permettra de déployer les outils grand public demain.

« L’internet que l’on utilise tous les jours aujourd’hui est au départ un outil militaire. »

Christophe Plassard, rapporteur spécial du budget de la défense

à franceinfo

Vous citez Sébastien Lecornu, le ministre des Armées, qui a dit ce matin à Bercy :  » Produire des armes, ce n’est pas sale. » Il y a une vision qui est en train d’évoluer ?

Il y a deux choses. Il y a déjà le mot « défense ». Aujourd’hui, l’effort d’équipement, l’effort d’armement, c’est un effort de « défense ». On n’est pas dans une posture d’attaque, ce n’est absolument pas le sujet. Et quand on parle d’économie de guerre, c’est la France en guerre, c’est la France qui soutient un pays qui est en guerre, qui est notamment l’Ukraine. Donc aujourd’hui, ce n’est pas « sale ou pas sale ». Et l’industrie de la défense, ce n’est pas que les armes, c’est le satellite, c’est la cybersécurité, c’est l’intelligence artificielle. Donc on a souvent tendance, dans les médias, lorsqu’on fait un article sur la défense, de mettre une palette avec des bombes. Mais le champ de l’industrie de la défense est bien plus large qu’uniquement les munitions, même si c’est un champ important.

La Caisse des dépôts fait évoluer sa doctrine d’investissement pour intégrer plus facilement les entreprises de défense. Vous avez l’impression, sur ces questions-là, qu’il y a des lignes qui bougent ?

Bien évidemment. La conférence de ce matin en est une preuve. Les sommes annoncées, ce que va mettre la Caisse des dépôts ou ce qu’a évoqué BPI, ont ce qu’on appelle un effet de levier. On sait que dans la finance, lorsque l’on met dix, en tout cas dans ces industries-là, on a un effet de levier de « fois sept ». Donc aujourd’hui, il a été estimé entre 2 et 3 milliards, à peu près, le besoin en fonds propres des entreprises. Et normalement, ce que met l’État, pour montrer patte blanche, pour montrer la confiance qu’il a dans cette industrie, devrait pouvoir, par effet de levier, combler et assouvir le besoin en fonds propres des entreprises.

On a parlé de plusieurs investisseurs. Quel rôle, selon vous, les banques ont-elles à jouer ?

Elles accompagnent. En France, les banques font partie de l’écosystème de l’entreprise pour se développer. Que ce soit le besoin en fonds de roulement lorsqu’une entreprise augmente son activité, ou que ce soit pour s’équiper, si les quantités augmentent, pour investir dans des bâtiments, investir dans des machines. Tout cela nécessite du financement et du financement bancaire.

Le ministre des Finances a évoqué certains investisseurs privés qui font parfois preuve de « frilosité » ?

C’est ce qui émanait de mon rapport, mais également d’autres rapports faits par les parlementaires, qui ont cosigné cette tribune. Il y avait des frilosités. Et la meilleure des preuves, c’est que ce matin, on nous évoquait l’évolution des conditions générales d’investissement des banques. Et si aujourd’hui ces conditions évoluent, c’est bien qu’il y a quelques années, quand on le pointait du doigt, il y avait bien un écart entre ce qui va se faire, aujourd’hui ou demain, et ce qui se faisait hier. Donc oui, effectivement, il y avait des frilosités. Qui ne sont pas d’ailleurs toujours des choses que les banques génèrent mais qu’elles subissent, comme les critères ESG. Et là, il y a un alignement qui semble plus positif.



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artia13

Depuis 1998, je poursuis une introspection constante qui m’a conduit à analyser les mécanismes de l’information, de la manipulation et du pouvoir symbolique. Mon engagement est clair : défendre la vérité, outiller les citoyens, et sécuriser les espaces numériques. Spécialiste en analyse des médias, en enquêtes sensibles et en cybersécurité, je mets mes compétences au service de projets éducatifs et sociaux, via l’association Artia13. On me décrit comme quelqu’un de méthodique, engagé, intuitif et lucide. Je crois profondément qu’une société informée est une société plus libre.

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