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le dark web vacille sous les coups d’Europol

Une opération policière mondiale a conduit à l’arrestation de 270 trafiquants opérant sur le dark web, exposant les failles d’un système censé être impénétrable. Le mythe de l’anonymat vacille sérieusement.

Ils pensaient pouvoir agir dans l’ombre, à l’abri derrière des pseudonymes, des cryptomonnaies et des outils de chiffrement. Pourtant, l’illusion de leur impunité s’est évaporée avec l’Opération RapTor, une offensive coordonnée par Europol, qui a mis à jour l’envers d’un commerce souterrain mondial. En s’appuyant sur les données issues du démantèlement de plusieurs plateformes illégales, les autorités ont pu retracer les pas numériques de centaines de trafiquants, les arrêter et saisir des millions d’euros, des armes et des substances illicites. À la croisée du renseignement et de la cybersécurité, cette action démontre que même les recoins les plus sombres du web ne sont plus hors de portée des forces de l’ordre.

Le revers numérique des trafics mondiaux

L’Opération RapTor n’est pas une simple série d’arrestations : c’est un bouleversement stratégique dans la lutte contre la criminalité numérique. Menée dans dix pays, elle a permis de capturer 270 suspects, identifiés comme vendeurs ou acheteurs actifs sur des plateformes du dark web. Ces marchés noirs virtuels, longtemps considérés comme des sanctuaires de l’anonymat, ont perdu de leur superbe. Parmi les plateformes visées : Nemesis, Tor2Door, Bohemia et Kingdom Markets. ZATAZ vous a présenté certains de ces blackmarket ces dix derniéres années et les opérations éponymes qui ont permis cette vaste campagne.

Leurs utilisateurs, aguerris aux techniques de dissimulation, se croyaient inaccessibles. Pourtant, c’est bien en exploitant les données extraites de ces plateformes que les enquêteurs sont parvenus à remonter leur piste.

Ce sont principalement les États-Unis, avec 130 arrestations, suivis de l’Allemagne, du Royaume-Uni et de la France, qui ont contribué aux principaux coups de filet. Mais derrière ces chiffres, c’est tout un réseau logistique, une économie parallèle reposant sur la drogue, les armes, la contrefaçon et les services frauduleux, qui a été déstabilisée.

« L’arrestation de 270 individus dans 10 pays envoie un message clair : aucun coin du dark web n’est à l’abri d’une justice bien coordonnée. »

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Des saisies record aux ramifications profondes

Les conséquences de cette opération vont bien au-delà des arrestations. Les forces de l’ordre ont mis la main sur plus de 184 millions d’euros, incluant liquidités et cryptomonnaies. Un chiffre vertigineux, qui reflète la dimension économique d’un marché criminel aussi discret que lucratif. Deux tonnes de drogues, des amphétamines à la kétamine en passant par les opioïdes, ont été récupérées, ainsi que 180 armes à feu, de faux pistolets, des tasers et des couteaux. En parallèle, les agents ont intercepté 12 500 produits contrefaits et plus de quatre tonnes de tabac illégal, montrant l’ampleur et la diversité des trafics.

Chaque saisie est le fruit d’une enquête méticuleuse, basée sur les croisements de données, l’analyse des communications chiffrées et une collaboration interservices sans précédent. C’est une illustration saisissante de la nouvelle guerre que se livrent forces de l’ordre et cybercriminels, à armes égales dans la sphère numérique.

Un modèle d’enquête en mutation

L’approche retenue par Europol s’inscrit dans une continuité méthodique. Elle reprend le modèle appliqué lors de l’opération SpecTor en 2023, qui avait permis l’arrestation de 288 personnes. À chaque fois, le même schéma : saisie d’un marché illégal, extraction de ses bases de données, puis exploitation de celles-ci pour remonter aux vendeurs et clients les plus actifs. Ce modèle de travail démontre que l’arrestation d’un administrateur de site n’est plus une fin en soi, mais le point de départ d’un processus d’identification en profondeur.

Le Centre européen de lutte contre la cybercriminalité, dirigé par Edvardas Šileris, joue un rôle central dans ce dispositif. Grâce à son groupe d’action conjoint sur la cybercriminalité, basé à La Haye, les services européens parviennent à centraliser et redistribuer le renseignement, garantissant une réponse rapide et coordonnée à travers les frontières.

Les criminels changent de stratégie, les enquêteurs aussi

Face à la multiplication des coups portés aux grandes places de marché du dark web, les trafiquants changent d’approche. De plus en plus, ils se tournent vers des boutiques plus discrètes, souvent gérées individuellement, et misent sur des canaux alternatifs, notamment via des messageries chiffrées ou des forums plus obscurs. Le but : échapper aux structures centralisées, souvent plus vulnérables aux opérations de démantèlement.

Parallèlement, l’offre criminelle évolue. Si la drogue reste le produit dominant, 2023 a vu une recrudescence de la vente de médicaments sur ordonnance, souvent contrefaits ou obtenus frauduleusement. Autre tendance inquiétante : l’essor des arnaques aux faux services, comme des tueurs à gages imaginaires ou des escroqueries ciblant des acheteurs naïfs. Ces nouvelles formes de cybercriminalité témoignent d’un écosystème qui se complexifie à mesure qu’il se réinvente pour survivre.

« Face à la pression policière, les cybercriminels se fragmentent et se réorganisent, mais les forces de l’ordre adaptent leurs tactiques avec la même agilité. »

La coopération internationale, clé de voûte de la réussite

L’opération RapTor n’aurait jamais pu voir le jour sans une coopération judiciaire et policière exemplaire. Elle implique une vingtaine d’agences nationales, de la National Crime Agency britannique à la Kantonspolizei de Zurich, en passant par le FBI, la DEA et les services douaniers allemands. Chacune a apporté sa pierre à l’édifice, que ce soit en matière de renseignement, de suivi financier ou d’intervention sur le terrain.

Cette synergie révèle l’un des enseignements majeurs des dernières années : la cybercriminalité ignore les frontières, et seule une réponse mondiale, centralisée autour de structures comme Europol, peut espérer en contenir la menace. À ce titre, les propos du commissaire européen Magnus Brunner prennent tout leur sens. Il appelle à un renforcement du mandat d’Europol et à une meilleure préparation des services répressifs dans le cadre de la stratégie ProtectEU. Pour lui, les institutions doivent impérativement évoluer au même rythme que les menaces qu’elles combattent.

Vers un futur numérique plus sûr ?

Les opérations RapTor et SpecTor marquent-elles le début d’un renversement durable du rapport de force entre forces de l’ordre et cybercriminels ? Rien n’est moins sûr. Si ces actions spectaculaires ont un impact direct sur les trafics en cours et permettent de démanteler des réseaux entiers, elles poussent aussi les criminels à se réinventer. La décentralisation, la sophistication des outils de chiffrement et la mobilité numérique restent des atouts puissants pour ces trafiquants de l’ombre.

Mais un message essentiel ressort de cette opération : nul n’est intouchable. L’anonymat du dark web n’est plus une forteresse inviolable. Nous l’avons vu avec l’opération contre le logiciel malveillant LUMMA, ainsi qu’avec  l’annonce du ministère américain de la justice qui vient d’inculper  16 personnes qui feraient partie d’un groupe de cybercriminels russes qui contrôlait le réseau de logiciels malveillants DanaBot.

Selon le Département de la Justice US, le botnet a été utilisé pour déployer d’autres logiciels malveillants, y compris des ransomwares, et a infecté plus de 300 000 ordinateurs dans le monde entier, causant plus de 50 millions de dollars de dommages. Le logiciel malveillant DanaBot est actif depuis 2018 et fonctionne selon le modèle MaaS. Il est capable de détourner des sessions bancaires, de voler des données de navigation, ainsi que de fournir un accès à distance complet aux systèmes compromis et de surveiller l’activité des utilisateurs.

Bref, avec les bons outils, une volonté politique affirmée et une coopération internationale efficace, même les criminels les plus prudents peuvent être retrouvés. C’est un tournant symbolique pour la cybersécurité mondiale, et peut-être le début d’une ère nouvelle, où la lumière se fait, progressivement, sur les zones les plus obscures du web.

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artia13

Depuis 1998, je poursuis une introspection constante qui m’a conduit à analyser les mécanismes de l’information, de la manipulation et du pouvoir symbolique. Mon engagement est clair : défendre la vérité, outiller les citoyens, et sécuriser les espaces numériques. Spécialiste en analyse des médias, en enquêtes sensibles et en cybersécurité, je mets mes compétences au service de projets éducatifs et sociaux, via l’association Artia13. On me décrit comme quelqu’un de méthodique, engagé, intuitif et lucide. Je crois profondément qu’une société informée est une société plus libre.

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